L'histoire des jardins

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L'histoire des jardins

Miroirs de nos cultures et emblèmes de nos valeurs, les jardins et les parcs sont des témoins de nos enjeux sociaux

Jardin anglais : domestiquer la nature tout en la respectant • Adobe Stock

Sommaire de cette édition

Miroirs de nos cultures et emblèmes de nos valeurs, les jardins et les parcs sont des témoins de nos enjeux sociaux

Il suffit parfois d’un modeste sentier bordé de lavande ou de hautes fougères, du bruissement des brindilles sous nos souliers, ou du parfum discret d’un bosquet fleuri pour que le souvenir d’un jardin nous ramène en enfance. Loin d’être juste une portion de terre cultivée, avec soin ou sans méthode, le jardin est un monde en soi, un paysage façonné par l’homme mais sublimé par les forces du vivant. Une histoire naturelle où se mêlent silence et tumulte, combinant ordre et désordre, attente et éclosion.

Depuis les premières civilisations sédentaires, l’humanité entretient avec le jardin une intimité profonde, presque sacrée. Qu’il soit potager ou ornemental, humble ou fastueux, qu’il s’étende à perte de vue ou ne mesure que quelques enjambées, le jardin matérialise un acte de foi et de confiance en la vie. Les jardins suspendus de Babylone, les cloîtres médiévaux, les vastes parterres fleuris des palais, les modestes potagers de curé, les jardins ouvriers ou les terrasses urbaines, recréent tous un espace de beauté et d’équilibre, au cœur d'un monde qui semble résigné à tutoyer le chaos.

Jardins suspendus de Babylone - image générée par une intelligence artificielle • Adobe Stock

Lieu de contemplation et d’expérimentation, le jardin est en effet un laboratoire où se croisent savoirs anciens et gestes quotidiens. On y observe la course langoureuse des saisons, on y apprend la patience et l’humilité, on y subit les caprices de la météo, on y reçoit les leçons discrètes de la nature. Jardiner, c’est lire le temps autrement, non plus en regardant le cadran de la montre, mais en laissant la nature dicter son propre rythme, celui des semis et des récoltes, des floraisons et des indispensables dormances.

Jardin japonais : zen et symbolisme • Adobe Stock

Harmonie des jardins japonais, luxuriance des jardins tropicaux, géométrie des jardins à la française de Le Nôtre, foisonnement contrôlé des cottages anglais, le jardin est un miroir de notre imaginaire et un reflet vibrant de nos idéaux culturels. On y trouve des chemins secrets, des haies protectrices, des lieux propices aux confidences, parfois équipés de bancs. On y voit des fontaines pour les pensées vagabondes et des labyrinthes pour le jeu. C’est un lieu d’émotions, d’intimité, de poésie, parfois de solitude et de méditation.

C’est aussi un lieu de partage et d’expériences communes. On s’y promène à deux, on y joue entre enfants, on y troque les récoltes entre voisins. Dans les maisons de retraite comme dans les écoles, les jardins sont des espaces sociaux, propices aux échanges et aux rencontres. On s’y promène d’un pas tranquille quand le terrain est vaste, ou on partage des pensées agricoles, le regard vissé sur les alignements d'un potager, quand le lieu est modeste. Nos jardins parlent toutes les langues, traversent les générations, et nous rappellent, avec douceur, que nous faisons partie d’un tout, bien plus vaste que nous-mêmes.

Les jardins du château de Versailles - L'œuvre majeure d'André Le Nôtre

Alors, pourquoi ne pas marcher dans les allées de Giverny ou sous les palmiers bleus de Majorelle, pour découvrir des jardins oubliés ou futuristes, entendre la voix des grands paysagistes et sentir battre le cœur de la terre ? Qu’il se réduise à un balcon urbain ou prenne des allures de parc infini, chaque jardin nous raconte une histoire naturelle et fascinante.

Brève histoire des jardins : de Babylone aux jardins partagés

Depuis l'Antiquité, l’homme façonne des jardins comme autant de réponses à ses désirs de beauté, de subsistance, de contemplation ou de pouvoir. Bien avant d’être domestiquée, la terre fut vénérée. Le jardin, dans les premières civilisations, s’apparentait à un espace sacré et protégé, souvent clos. En Mésopotamie, les célèbres jardins suspendus de Babylone, l’une des sept merveilles du monde antique, mêlaient prouesse technique et diversité botanique. Réservés à l’élite, ils incarnaient un idéal de fertilité et de fraîcheur dans un environnement aride et dur. Leur construction est attribuée à Nabuchodonosor II (604-562 av J.-C.), qui espérait aider son épouse à combattre la nostalgie de son lieu de naissance, l’Iran occidental, un territoire montagneux et fertile.

Jardins du château de Giverny • Adobe Stock

En Égypte ancienne, les jardins respectaient une logique géométrique savante. Ils étaient plantés de plusieurs variétés d’arbres et d’arbustes parmi lesquels régnaient en maître les acacias, les figuiers et les palmiers-dattiers. Construits avec soin et parfaitement ordonnés, ils bordaient, outre les temples, les maisons et les tombeaux des personnages les plus riches.

En Grèce antique, des bosquets sacrés étaient censés offrir un refuge aux muses et aux dieux, à l’instar d’Apollon (dieu des arts, du chant, de la musique et de la beauté masculine) et de Dionysos (dieu de la vigne, du vin et de la fête). La nature ainsi contrainte et entretenue devint un lieu de méditation, de savoir et de culte. Ces espaces boisés inspirèrent les poètes et les philosophes. Ceux-ci les fréquentèrent assidument pour réfléchir, méditer, enseigner, prier ou écrire.

Héritiers de ces traditions séculaires, les Romains s’appliquèrent à les transformer, notamment en introduisant l’idée de jardin privé. Intégré à l’architecture de la villa, orné de bassins, de statues, de colonnades et d’allées ombragées, le jardin romain devint un prolongement de la maison, un espace d’otium (temps libre) – ce temps de loisir cultivé, propice à la lecture, au débat et au repos.

Reproduction (à l'aide de l'IA) d'un jardin de la Grèce antique • Adobe Stock

Le Moyen Âge : entre Dieu et la terre

À l’époque médiévale, le jardin mit en scène un monde en réduction où s’exprimaient la foi, la science et le pouvoir. On trouvait dans cette idée de microcosme naturel deux types d’espaces. En premier lieu, les jardins monastiques, clos de murs, qui incarnaient la règle de l’autosuffisance. Ces espaces furent à la fois des outils de survie et des odes à l’ordre divin. Chaque espèce y trouvait sa place : plantes médicinales, légumes, arbres fruitiers et herbes aromatiques. Les jardins seigneuriaux, quant à eux, étaient des espaces de promenade et des symboles de prestige, richement ornés de rosiers, de fontaines et d’arbres taillés selon des formes plus ou moins complexes, géométriques ou organiques (art topiaire).

La Renaissance : entre art et maîtrise

À la Renaissance, l’homme souhaita dominer la nature et l’organiser selon des principes géométriques, mathématiques et philosophiques. Les jardins devinrent des œuvres d’art à part entière. En Italie, de sublimes jardins en terrasses mirent en scène l’eau, les perspectives, les symétries et des formations végétales savamment organisées. Ce modèle influença profondément la France, où le XVIIe siècle vit éclore les jardins à la française, sous l’impulsion d’André Le Nôtre, qui fut notamment l'architecte-paysagiste du château de Versailles. Le jardin devint un instrument du pouvoir royal, une extension du château, un théâtre vivant témoignant de la grandeur du roi.

Les Lumières et l’éveil du naturel

Au XVIIIe siècle, un vent nouveau souffla sur l’art des jardins. L’influence anglaise introduisit le jardin paysager, plus libre, plus sinueux, ponctué de grottes et de rivières artificielles. On chercha à imiter la nature plutôt qu’à la contraindre. On s'évertua à créer l’illusion d’un monde spontané, romantique, à la fois sauvage et structuré. Ces jardins traduisaient l’évolution des mentalités qui prônaient la sensibilité et l’émotion. Jean-Jacques Rousseau et les poètes romantiques y virent un refuge de sincérité, loin des conventions sociales pesantes de l'époque.

Jardin potager • Adobe Stock

Le XIXe siècle : un jardin pour tous

À l’heure de l’urbanisation et des révolutions industrielles, le jardin fut chargé de répondre à des préoccupations sociales et sanitaires majeures. Les grandes villes d’Europe aménagèrent des parcs publics, des jardins botaniques et des serres monumentales, pour offrir aux citadins des îlots de verdure, des lieux propices au repos et aux loisirs. Dans les campagnes, les jardins potagers se multiplièrent, tandis que naissaient les jardins ouvriers, conçus pour améliorer la vie des familles les plus modestes, favoriser leur autonomie alimentaire et faciliter la transmission des savoirs agronomiques. S'inspirant des idées de l'abbé Lemire, prêtre du diocèse de Cambrai et député-maire d'Hazebrouck, fondateur en 1896 de la Ligue française du Coin de Terre et du Foyer, Félicie Hervieu introduisit à Sedan de nombreuses innovations sociales, parmi lesquelles le concept de jardins ouvriers. Il s'agissait de créer des espaces verts, parfois cultivés, destinés à combattre les effets indésirables liés à la pollution industrielle et aux habitats souvent insalubres, ainsi que de contribuer au développement de liens sociaux, tout en offrant aux familles les plus modestes des légumes de saison.

Biodiversité, partage et résilience de l’époque moderne

Aujourd’hui, face à la crise écologique, à l’urbanisation galopante et à l’isolement paradoxal des citadins, de nouveaux types de jardins voient le jour. Tandis que le développement de la permaculture remet en question les pratiques industrielles et l'agriculture intensive, des balcons se "végétalisent" et des friches se transforment en potagers. Le jardin devient une sorte de laboratoire citoyen, de lieu de transmission et d’espace de résilience qui n’est plus réservé à une élite. Il incarne une prise de conscience collective, consistant à choisir d’inviter la nature, même en pot, dans un acte politique, poétique et réparateur.

Des jardins mythiques aux toits végétalisés, des cloîtres aux friches urbaines, le concept de jardin traverse les âges et les frontières. Il ne cesse d'évoluer et se transforme au gré des modes et des enjeux sociaux, sans jamais perdre son rôle essentiel de lien entre les hommes et la nature. Aujourd’hui, plus que jamais, c’est un lieu de mémoire et d’avenir, un territoire d’héritage et d’invention.

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Les grands paysagistes à travers les siècles

Depuis l’Antiquité, des femmes et des hommes ont façonné des paysages pour en faire des symboles de beauté, de paix ou de pouvoir, chaque fois ancrés dans leur époque. Au XVIIe siècle, André Le Nôtre incarna l’apogée du jardin à la française, où régnaient des symétries savantes et des perspectives majestueuses. À Versailles, à Chantilly et à Vaux-le-Vicomte notamment, les compositions de Le Nôtre ont traduit sa vision idéale d’un monde ordonné, où la nature se soumettrait à la volonté humaine. Deux siècles plus tard, le paysagiste Anglais Capability Brown rompit franchement avec cette rigueur, et offrit à la vue des paysages « naturels », soigneusement composés, comme autant de tableaux vivants. Peuplés de bosquets, d’étangs et de collines, ses jardins mettaient en scène des courbes et des lignes souples, élégantes et variées. Empruntant tantôt à la rigueur de Le Nôtre ou au ton moins strict de Brown, d’innombrables créateurs inventèrent leur propre style, mêlant botanique, architecture, philosophie et maîtrise de l’espace.

Au XXe siècle, des figures comme Russell Page, Roberto Burle Marx et Gilles Clément réinventèrent l’art du paysage, en lien avec des préoccupations écologiques naissantes et la nécessité de préserver la biodiversité. Jardiner devint un art moderne, dans une logique d’écriture lente, d’écoute de la terre et de respect des saisons. Le paysagiste apprit, quant à lui, à composer avec le vivant, à accepter l’imprévu pour laisser une empreinte à la fois visible et discrète, humble et durable.

À chaque époque son style de jardin

Jardins d’artistes : Monet à Giverny, Majorelle à Marrakech

Certains artistes conçurent leur jardin comme une extension de leur œuvre. À Giverny, par exemple, Claude Monet détourna le bras d’une rivière pour que l’eau s’écoulât au cœur du jardin qu’il façonna tout en nuances. Planté de nymphéas et décoré d’un pont japonais, cet univers végétal devint la matrice vivante des œuvres tardives du peintre qui tenta de saisir la magie de la lumière, passant des heures à observer les reflets de l’eau, à scruter le ciel en espérant la pluie, ou à écouter la vibration des feuillages dans le vent.

Jacques Majorelle, peintre orientaliste du début du XXe siècle, créa à Marrakech un écrin de verdure aux accents exotiques, peuplé de palmiers, de cactus, de bambous et d’essences rares. Le fameux « bleu Majorelle » – une teinte intense et profonde considérée par le peintre comme la "couleur de l’ombre et du rêve" –, fut appliqué sur les murs, les fontaines et les jarres pour "faire vibrer le jardin tout entier". Majorelle y vécut, aimant s’y perdre et y peindre de nombreuses toiles. En 1980, 18 ans après la disparition de Majorelle, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé décidèrent d’acquérir la propriété et d'habiter la villa de l’artiste, qu'ils rebaptisèrent Villa Oasis. Le couple décida de restaurer le jardin et de sauver ce lieu menacé pour en faire un sanctuaire d’art et de mémoire, l’atelier du peintre étant transformé en un musée berbère, ouvert au public.

Monaco, Monte Carlo - Jardin Japonais • ID 338243069 | Jardin © Irstone | Dreamstime.com

André Le Nôtre, l’architecte des jardins du pouvoir

Il est impossible de traiter de l’art des jardins sans évoquer le nom d’André Le Nôtre (1613-1700), maître incontesté du jardin à la française. Jardinier du roi Louis XIV, Le Nôtre développa une vision structurante du paysage, selon laquelle l’ordre humain doit triompher de l’apparente anarchie qui caractérise le monde végétal. Son œuvre, indissociable du classicisme et du Grand Siècle, a marqué l’histoire de l’art et de l’urbanisme. Issu d’une lignée de jardiniers, Le Nôtre mit la formation complète qu’il reçut – combinant dessin, mathématiques, perspective et architecture – au service de son art. Il ne se contenta pas de planter des parterres mais composa des toiles vivantes, courant parfois sur plusieurs kilomètres. Il s’appuya sur sa connaissance des concepts de symétries axiales et de perspective centrale, jouant de manière savante avec les plans d’eau et la lumière. La majestueuse composition qu’il déploya à Vaux-le-Vicomte, à la demande de Nicolas Fouquet, impressionna Louis XIV. Le jeune souverain décida ainsi de confier au paysagiste la réalisation des jardins du château de Versailles.

Et c’est là que Le Nôtre put exprimer la pleine mesure de son génie. Il y créa un jardin à la fois complexe et majestueux. Bien plus qu’un lieu de promenade, Versailles incarna la notion de pouvoir monarchique. Le roi-soleil voulait régner sur la nature comme sur son royaume. Le Nôtre conçut chaque élément du décor – allée, bosquet, fontaine et perspective – selon une logique savante, conjuguant le spectaculaire et l’intime, le monumental et le raffiné, une leçon d'intemporel et d'éternité au cœur du vivant.

Célébré pour son génie, ce chorégraphe du paysage intervint à Chantilly, Saint-Cloud, Meudon, les Tuileries, ainsi qu’en Angleterre et en Italie. Sa manière de penser l’espace, de dompter les formes naturelles et de contraindre le regard, séduisit l’Europe tout entière. Il sut créer un équilibre parfait entre rigueur géométrique et mise en valeur du terrain, entre domination symbolique et invitation à la promenade, au service de la grandeur du roi. Son style préfigura l’urbanisme moderne et inspira de nombreux architectes.

Le plaisir de créer ses propres massifs de fleurs • ID 41590406 © Ozgur Coskun | Dreamstime.com

Lancelot "Capability" Brown, peintre de la nature anglaise

Au XVIIIe siècle, un nouveau langage paysager fut inventé en Angleterre, à rebours de la symétrie classique à la française. Lancelot Brown, surnommé "Capability" en raison de son habitude à repérer dans chaque domaine ses capacités d’amélioration, vit le jour en 1716, et devint le plus influent des paysagistes britanniques, avec plus de 170 parcs et jardins à son actif.

Il développa un art consistant à rendre totalement naturel un paysage façonné par l’homme. Lorsqu’il creusait un lac, il s’appuyait sur une étude méticuleuse de la nature du terrain et de ses différents dénivelés afin d’adapter les contours aux irrégularités typiques d’un plan d’eau naturel. Il n'hésitait pas à dessiner des vallons, à creuser ou à combler des trous, à contraindre des cours d’eau et à créer des barrages qu’il rendait invisibles. S’il plantait des bosquets ou des haies, s’évertuant à concevoir un modèle respectant les conditions naturelles de développement et de croissance des espèces d’arbres et d’arbustes utiles à la réalisation de son œuvre. Abhorrant les parterres géométriques et les hais alignées, Brown créa des paysages pastoraux idéalisés, inspirés de la peinture, dans lesquels la nature semblait se déployer avec grâce, tout en étant discrètement contrainte. Ses compositions évoquaient ainsi un retour à une nature apprivoisée mais non dominée. L’homme ne s’y imposait plus en maître absolu comme dans le cas des jardins à la française. Son style marqua une rupture philosophique majeure avec le cadre formel en vogue à l’époque. Les jardins de Brown n’étaient plus les illustrations théâtrales d’un pouvoir monarchique. Il s’agissait d’espaces de retraite, d’harmonie et de contemplation. Capability Brown devint le maître des paysages inspirant le calme et la rêverie, dans une Angleterre idéale et verdoyante. Parmi ses œuvres majeures figurent les jardins du palais de Blenheim, Stowe, ou encore Chatsworth.

Exemple d'un jardin remanié par Lancelot "Capability" Brown • ID 102082802 | Capability Brown © Stuart Andrews | Dreamstime.com

Jardins d’ailleurs : une invitation au voyage

Le jardin japonais : entre silence et harmonie

Le jardin japonais n’est pas fait pour être traversé à la hâte, un téléphone portable entre les mains. Il se contemple, mérite qu’on s’y attarde, qu’on tente d’en comprendre la structure et même, qu’on y médite. Héritier du bouddhisme zen et du shintoïsme, ce jardin cultive le dépouillement dans un dialogue éloquent entre le plein et le vide, la richesse et le dénuement, les parties et le tout. Ici, chaque détail compte et représente un symbole, des mousses tapissant les pierres, aux ondulations savantes d’un ruisseau, en passant par les formes alambiquées d’un groupe de pins et à la courbe majestueuse d’un pont de bois enjambant un étang. La symbolique est partout et elle admet souvent plusieurs facettes, conduisant à autant d’interprétation. On y trouve souvent un rocher massif et isolé, qui figure le mont Shumisen du bouddhisme ou le mont Hōrai du taoïsme, tandis que d’autres groupes de pierres matérialisent la présence du Bouddha zen et de ses disciples. À l’inverse de Versailles, la plupart des jardins japonais sont clos, même si des techniques savantes, très éloignées de la perspective occidentale, sont employées pour donner au visiteur une impression de grandeur, voire d’infinitude des lieux. Ce vocabulaire de la perspective repose sur des techniques inspirées de la peinture chinoise. Symbolisant un monde en réduction et un espace d’introspection, le jardin japonais nous apprend à regarder autrement.

Le jardin islamique : un paradis terrestre entre eau et lumière

Au cœur de la culture islamique, le jardin convoque d’emblée tous les sens du visiteur. Le toucher des matières et des textures, notamment les céramiques, l’odeur entêtante des massifs de fleurs, le son chantant des fontaines dans le vent et les gazouillis incessants des oiseaux, la beauté de l’ensemble qui s’offre à la vue. Il faut dire que, dans la tradition islamique, le jardin est une promesse d’éternité. Inspiré par des versets du Coran qui décrivent le paradis comme un lieu de fraîcheur, d’ombre et de ruisseaux, le jardin incarne l’image terrestre de la félicité divine. Clos et ordonné, il souhaite offrir au visiteur un refuge et un lieu de paix, en rupture avec le monde extérieur, souvent bruyant, aride et chaud.

Jardin islamique • Adobe Stock

La structure classique du jardin islamique repose sur un plan en croix, quatre canaux irriguant le centre, parfois marqué par une fontaine ou un petit pavillon. Cette organisation, dite tchaharbagh, symbolise les quatre fleuves du paradis. L’eau y est essentielle : elle court, ruisselle et miroite. Le jardin est un lieu de fraîcheur, d’aromates, de fleurs, de fruits, une oasis pour tous les sens. À la fois espace spirituel et véritable art de vivre, le jardin d’islam conjugue science hydraulique, beauté géométrique et quête d’un ailleurs lumineux. Parmi les joyaux de cette tradition : les jardins de l’Alhambra à Grenade, écrin de verdure où le murmure des fontaines accompagne la dentelle des arcs ; les jardins de Persépolis en Iran et ceux des palais moghols, comme le Shalimar Bagh au Cachemire.

Jardins d’hier et d’aujourd’hui

Il y a, dans le jardin, quelque chose qui se transmet en silence. Un geste répété, des parfums de sol mouillé après l’arrosage « au pied », une manière de travailler la terre, des techniques d’observation du ciel, des règles plus ou moins savantes à propos du vent ou des cycles de la Lune. Des enseignements ancestraux, qui ne sont pas tous consignés dans des livres, mais inscrits au cœur des paumes calleuses, dans les regards patients ou dans les voix qui nous disent :

Attends un peu, ce n’est pas encore le moment.
Le jardin du Luxembourg à Paris • Dreamstime.com

En France, nous sommes plus de 23 millions à entretenir un jardin, que celui-ci se limite à un petit lopin de terre ou qu’il s’étende sur plusieurs centaines d’ares. Nous gardons sans doute en mémoire le jardin de nos grands-parents, avec ses allées irrégulières, ses lignes de haricots ou de fraisiers, ses rangées de soucis ou de dahlias que l’on cueillait pour faire un bouquet. On se souvient aussi de la voix sûre d’un aïeul qui nous racontait sans forcer les noms des fleurs, décrivait les ruses pour lutter contre les limaces, était prompt à dégainer un dicton du calendrier lunaire. Pour les anciens, jardiner n’était pas un loisir. C’était un art de vivre, une nécessité, une école de vie.

Dans les villages d’antan, chaque maison possédait son coin de potager. On y cultivait pour mieux manger, mais aussi pour transmettre. Les graines passaient de mains en mains, une récolte réussie, un plant vigoureux, une tomate sucrée valant mieux que mille discours. Les enfants, à force de regarder les adultes agir, finissaient par savoir, sans avoir besoin de le dire.

Cultiver son jardin : une sagesse chère à Voltaire • Adobe Stock

Puis la ville s’est fortement développée à partir de la moitié du XIXe siècle. Les immeubles ont grignoté les champs, le béton a remplacé la terre. Pourtant, dans un coin de balcon, un bac de menthe, quelques fleurs de saison, un plant de tomate en pot ont continué à raconter cette histoire ancienne. Aujourd’hui, le jardin revient, différent et parfois improvisé, mais toujours porteur de sens. Dans les jardins partagés, les écoles, les EHPAD, des générations se croisent autour d’un carré de terre. On y retrouve, intact, le plaisir de voir pousser quelque chose. Le miracle du vert tendre d’une pousse nouvelle, le développement d’un cotylédon, la naissance d’une fleur, l’émergence d’un fruit. On y apprend le plaisir de l’attente, le silence habité d’un matin d’arrosage. Le jardin enseigne et rassemble, permettant à chacun de trouver sa place.

L'épouvantail, emblème des jardins potagers • ID 21559918 © Pncphotos | Dreamstime.com

Face à la standardisation des goûts, à l’érosion de la biodiversité, au dérèglement du climat, jardiner autrement est un choix, un engagement. Semer des variétés anciennes, cultiver sans avoir recours aux pesticides, composter ses déchets, accueillir les abeilles, les hérissons et les insectes, ne pas éradiquer les « indésirables », et respecter le vivant, c’est résister, avec humilité et conviction.