Illusion 3D par M.C. Escher - Musée Escher - Het Paleis, La Hague Hollande - ID 167557868 © Vyychan | Dreamstime.com
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Saviez-vous que le célèbre artiste M.C. Escher a terminé sa vie dans une maison de retraite un peu particulière ? Il y disposait de son atelier...
Maurits Cornelis Escher, plus connu sous le nom de M.C. Escher, est souvent décrit comme un artiste singulier et un révélateur de mondes improbables. L’œuvre de ce poète des paradoxes visuels défie en effet les lois de la logique et remet en cause les fondements de la perspective. Faites de symétries envoûtantes qui affectent les formes et les couleurs, ses célèbres gravures sont à la fois troublantes et fascinantes. Son regard précis, méthodique et extraordinairement inventif, a permis à Escher de créer des images qui semblent tout droit sorties d’un « rêve étrange et pénétrant », à moins qu’elles aient été conçues pour illustrer, de manière évidente et géniale, des casse-tête mathématiques et la beauté mystérieuse de la géométrie non euclidienne.
Né aux Pays-Bas en 1898, M.C. Escher demeura longtemps inconnu du grand public. Trop scientifique pour le monde des arts et trop artistique pour celui des sciences, son œuvre évolua dans une sorte d’entre-deux, à la fois fertile et ésotérique. Il faut attendre le dénouement de la Seconde Guerre mondiale pour que les œuvres d’Escher suscitent l’intérêt du public. Ses gravures et autres dessins touchèrent tout d'abord des cercles de savants qui se montrèrent fascinés par ses constructions impossibles, ses pavages hypnotiques et ses métamorphoses graphiques.
Bien qu'Escher n'étudiât pas les mathématiques, il sut donner corps à des concepts abstraits que nombre de scientifiques peinaient à illustrer : des escaliers infinis, des cascades qui remontent inlassablement le courant, des oiseaux qui se transmutent en poissons, ou encore des cubes qui se retournent sur eux-mêmes et changent de forme. Chacune de ses images ouvre une porte vers l’étrange et nous invite à remettre en cause ce que nous croyons effectivement "voir".
Découvrir ou redécouvrir cet artiste hors norme, qui inspira nombre de scientifiques, philosophes et architectes, tout en enchantant poètes et rêveurs, est une escapade au cœur d’un monde où le haut se niche sans vergogne tout en bas, où l’espace se courbe sans peine, où l’œil s’étonne tandis que l’esprit divague.
Chez Escher, au-delà des apparences, rien n’est évident ni complètement stable ou durablement équilibré. L’œil est d'emblée séduit par la qualité du graphisme et la familiarité des perspectives. Mais lorsqu’on s’attarde sur une œuvre, quelque chose nous intrigue avant de causer en nous une curieuse sensation d’inconfort. Car l’artiste s’évertue à piéger l'observateur avec subtilité, par le truchement d'illusions d’optique savantes. Ces "tricheries graphiques " ne sont jamais de grotesques tromperies mais constituent de véritables énigmes visuelles. Escher se plaît à défier le réel et se rit des lois de la physique. Chacune de ses œuvres nous invite à penser au-delà des apparences. On y croise de curieux objets, à la fois familiers et étranges : un escalier qui monte et ne cesse de descendre, une fontaine qui défie la gravité, ou encore des constructions suspendues dans une géométrie spatiale complètement impensable et pourtant visuellement crédible.
Son œuvre Relativité (1953) met en scène des personnages qui vivent dans un univers dépourvu de haut et de bas, où chacun définit son propre centre de gravité, selon une logique aussi cohérente que déroutante. Dans Cascade (1961), une roue à aube est alimentée par une chute d’eau qui, bizarrement, revient à son point de départ en formant une boucle impossible et réaliste à la fois.
Au fil de ses créations, Escher cultiva inlassablement ce goût de l’impossible, avec méthode et obstination. Il s’appuya sur des principes rigoureux de perspective qu’il détourna habilement pour construire des illusions. Il passa maître des points de fuite incohérents, des angles grotesques et des emboîtements trompeurs. Dans certaines de ses œuvres, il s'intéressa à une curieuse variété de figures appelées "formes impossibles", à l'instar de l'escalier de Penrose qui fut théorisé par de grands mathématiciens, après qu’Escher les eût imaginés et représentés. À maintes reprises, ce dernier devança la connaissance scientifique, illustrant avec brio des concepts mathématiques complexes toujours en gestation dans la tête des savants.
Les paradoxes visuels d'Escher reposent sur une étude méthodique et une compréhension profonde des transformations géométriques. Pour l'artiste, toute forme doit pouvoir se transformer en une autre et rien ne peut interdire à un espace de se replier sur lui-même, dans toutes les directions. Il ne s’agit pas seulement de surprendre le regard mais d’explorer les limites de la représentation visuelle et de malmener nos capacités de perception. Escher inventa un monde où la réalité semble glisser, muter, changer de configuration, comme dans un rêve où les règles du réel sont complètement remises en question. Ses illusions d’optique interrogent la stabilité du monde pour renverser les certitudes, l’inspiration artistique naissant, selon lui, dans un laboratoire d’idées alimenté par l’intelligence.
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L’œuvre visuelle d’Escher établit un dialogue entre l’art et les mathématiques. Les transformations géométriques élémentaires du plan et de l’espace fascinèrent l'artiste qui en explora méthodiquement toutes les déclinaisons : translations, rotations, projections, vissages (rotations hélicoïdales dans l’espace), homothéties, symétries axiales et centrales, etc. Chaque pavage qu’il composa fut pensé autour d’un principe mathématique précis, poussé à son paroxysme.
S’intéressant davantage à la forme des êtres et des objets qu’à leur intérieur, Escher passa des jours entiers à observer la nature : ici un lézard, là un poisson ou un oiseau, là encore un éclat de roche. Il observa de nombreuses structures symétriques, couchant sur le papier les alvéoles d’une ruche, les nervures d’une feuille, la structure d’une fleur ou encore la géométrie ingénieuse d’un flocon de neige. Son obsession pour les motifs réguliers fut aussi nourrie de sa passion pour l’art mauresque, notamment les céramiques. Pour lui, la géométrie n’était pas un exercice abstrait mais une manière de rendre compte de l’ordre secret du monde. Ses innombrables observations lui permirent de créer des mondes ordonnés où les figures s’enchaînent avec une rigueur presque musicale.
En 1954, Escher fut invité par les organisateurs néerlandais du congrès international des mathématiciens, qui se tint à Amsterdam. Il y croisa quelques scientifiques fascinés par ses gravures, à l’instar de Roger Penrose, le père des escaliers impossibles. Un autre savant, le mathématicien Donald Coxeter, l’initia aux secrets de la géométrie hyperbolique dans laquelle l’artiste puisa de nombreuses idées mises en scènes dans Limite circulaire III (1959) où poissons et autres créatures se répètent à l’infini, s’éloignant vers la périphérie du cercle sans toutefois l’atteindre.
En quelques mois, Escher devint une référence incontournable dans le monde des mathématiques récréatives. Sans formule ni théorème, mais avec une rigueur exemplaire, ses œuvres illustrent des notions abstraites et complexes, créant un pont entre science, art et imagination. De nos jours encore, son travail est une source d’inspiration féconde pour des chercheurs, des enseignants et des vulgarisateurs scientifiques.
Selon Escher, la symétrie structure l’image et organise l’espace pour créer une forme de poésie visuelle. À partir d'une démarche empirique exploitant ses capacités visuelles, il découvrit et étudia les 17 groupes de symétrie plane définis par les mathématiciens, bien avant de les connaître formellement. Voici un florilège expliqué de ses transformations géométriques favorites.
Né en 1898 aux Pays-Bas, quatrième et dernier enfant de la famille, Maurits Cornelis passa ses jeunes années à Arnhem. Peu porté sur les études classiques, il n’obtint pas l’équivalent néerlandais du baccalauréat mais parvint tout de même à entamer des études d’architecture à Haarlem, un cursus qu’il abandonna au bout d’une semaine seulement. Il décida de se consacrer à sa passion pour les arts graphiques et son professeur de dessin, Samuel Jessurun de Mesquita, ayant perçu le talent de cet élève facétieux, l’encouragea à suivre cette voie.
Dès le début des années 1920, Escher entreprit de nombreux voyages en Italie où il rencontra Jetta Umiker, qui devint sa femme en 1924. Le couple s’installa à Rome et, durant ces onze années italiennes, Escher parcourut le pays d’est en ouest et du nord au sud, un carnet de croquis en mains, consignant avec application l’architecture des bâtiment historiques, se délectant à la vue des nombreux villages perchés sur une colline et passant des heures à admirer la beauté des côtes escarpées. Ces expériences façonnèrent son regard et lui inspirèrent plusieurs œuvres majeures, à l’instar de Waterfall ainsi que de Puddle (1952) qui s’inspire des arbres déjà présents dans une œuvre datant de 1932, Pinetaby Calvi. Escher réalisa aussi quelques œuvres figuratives, comme Castrovalva ou Atrani, qui représente une petite ville de la côte amalfitaine et réapparaît dans les célèbres gravures Metamorphosis I et II. Ces œuvres témoignent déjà d'un goût prononcé pour les perspectives vertigineuses, les jeux de profondeur et les points de vue déroutants.
Au total, Escher produisit 448 lithographies, gravures sur bois et xylogravures, ainsi que plus de 2 000 dessins. Multipliant les expériences artistiques, il fut tour à tour illustrateur, concepteur de tapis, dessinateur de billets de banque, créateur de timbres et de fresques… Comme Léonard de Vinci et Michel-Ange avant lui, Escher n'eût de cesse de comprendre le monde afin d’utiliser l’art pour le réinventer.
Somptueux palais mauresque situé à Grenade, l’Alhambra fut l’une de ses nombreuses sources d’inspiration. Il fut profondément marqué par la beauté des mosaïques aux motifs géométriques réguliers. Ces formes symétriques nourrirent ses expérimentations graphiques. Durant la Seconde Guerre mondiale, il réalisa plus de 60 dessins jouant avec les symétries. Fasciné par les lois de l’espace, du temps et de la perspective, il s'évertua à dérouter notre regard tout en nous amusant, portant au pinacle l’art de l’illusion et nous obligeant à voir autrement.
Le chercheur américain Douglas Hofstadter fut incontestablement un grand admirateur de l’œuvre d’Escher. Il consacra plusieurs années à l’écriture d’un ouvrage de référence intitulé Gödel, Escher, Bach : les Brins d'une Guirlande Éternelle (1979).
À la croisée des chemins entre mathématiques, philosophie et sciences cognitives, ce livre iconique – que ses aficionados ont pris l’habitude de désigner par l’abréviation GEB – compare les travaux de trois géants qui, à première vue, n’ont pourtant pas grand-chose en commun : le mathématicien Kurt Gödel, Escher lui-même et le compositeur Jean-Sébastien Bach (GEB). L’auteur affirme que tous trois ont consacré leur à vie à tenter de résoudre la même énigme : comment un système peut-il se refléter lui-même, créer du sens à partir de ses propres règles, ou encore engendrer des boucles où l’intérieur et l’extérieur se confondent ?
Hofstadter introduit le concept de « boucle étrange » (strange loop) qui, selon lui, apparaît dans de nombreux dessins d’Escher et qui illustre nos mécanismes mentaux les plus profonds. Le cerveau humain parvient à se percevoir lui-même ; nous avons conscience de notre existence et utilisons nos neurones pour comprendre le fonctionnement de notre cerveau, lui-même constitué de neurones. Escher créa des images qui semblent se penser elles-mêmes, tournent en rond tout en progressant en traçant des boucles qui ne se referment jamais complètement. Dans Relativité, Montée et Descente, ainsi que dans Cycle, des jeux subtils de miroirs se reflétant à l’infini l’un dans l’autre donnent le vertige. Hofstadter admirait la virtuosité dont Escher fit preuve pour matérialiser l’abstraction et offrir une forme tangible à des idées complexes que les mots et les chiffres peinent à exprimer. Dans ses lithographies et ses gravures, Escher ne triche jamais avec les lois de la perspective ou de la géométrie et cette rigueur paradoxale fait de lui un artiste profondément philosophique.
Ces imbrications savantes de plusieurs univers graphiques, ces jeux de miroirs et autres métamorphoses subtiles sont comparables aux procédés d’écriture des fugues de Bach, où un motif revient sans cesse, se transforme et se superpose à lui-même, puis se dissocie en se métamorphosant sans qu’il y paraisse. La comparaison des dessins d’Escher avec les travaux du logicien Kurt Gödel est plus complexe à justifier. Hofstadter utilise un célèbre paradoxe révélé par le mathématicien au début de XXe siècle.
Considérons un catalogue (noté C) contenant tous les catalogues qui ne se contiennent pas eux-mêmes. C contient par exemple le catalogue de La Redoute, le catalogue des vins de Bordeaux, etc. En effet, le catalogue de La Redoute n’est pas vendu par cette enseigne et, par conséquent, ne se contient pas lui-même. De toute évidence, le catalogue des vins de Bordeaux n’est pas un vin et, par conséquent, il ne se contient pas lui-même. Les choses se compliquent lorsqu’on considère le cas du catalogue C lui-même et qu'on se demande si celui-ce se contient lui-même ou non. Procédons avec méthode. Supposons que C ne soit pas inclus dans C, alors, par définition, C ne se contient pas lui-même. Dès lors, C devrait être dans C. Réciproquement, si nous mettons C dans lui-même, alors ce catalogue contredit la règle de sa propre construction : les catalogues qui ne se contiennent pas eux-mêmes. Par conséquent, C ne doit pas être un élément de C. En résumé, si C n’est pas dans C alors il convient de mettre C dans C et, réciproquement, si C est dans C, alors il convient de l’en retirer. Impasse logique ! Ce paradoxe donne le vertige, comme les illustrations d’Escher mettent notre logique à rude épreuve en mélangeant contenu et contenant, intérieur et extérieur.
Le GEB, bien que plutôt difficile à lire, est un ouvrage culte pour qui s’intéresse à la manière dont la cognition émerge de mécanismes neurologiques cachés.
Solitaire et discret, Escher n’a pas trouvé sa place dans le monde de l’art. Trop rigoureux pour les surréalistes et trop poétique pour les géomètres, il ne connut de son vivant qu’une reconnaissance modeste, ne vendant ses estampes qu'à des amateurs éclairés ou à des institutions scientifiques. Dans les années 1960, son travail connut un regain d’intérêt, à la faveur d’une époque avide de remises en question, de jeux spirituels et de paradoxes visuels. Le mouvement psychédélique et la culture populaire s'emparèrent de ses images pour illustrer des couvertures d’albums de rock, des affiches de concert et des manuels de mathématiques. Les illusions visuelles d'Escher devinrent autant de symboles d’un monde en mouvement perpétuel et en quête de sens.
De nos jours, certains architectes s’inspirent des constructions impossibles d’Escher pour inventer des bâtiments qui défient la gravité. Des informaticiens et des artistes du numérique les recréent méticuleusement dans des mondes en trois dimensions (3D). Des mathématiciens, fascinés par cette manière d’explorer les pavages, les symétries et les structures auto-référentielles, utilisent l'œuvre d'Escher comme de puissants supports pédagogiques.
Cet artiste génial et inventif inspira les décors du film Inception de Christopher Nolan, tandis que le jeu vidéo Monument Valley lui rendit un hommage vibrant à travers des univers étranges faits d’escaliers trompeurs, de ponts sans fin et de perspectives mouvantes. Parce qu’il parvint à réconcilier l’imaginaire et la rigueur, la beauté et la logique, Escher est souvent utilisé pour sensibiliser les plus jeunes à la magie des mathématiques et au caractère parfois trompeur des apparences. À l’heure du sacre de l’intelligence artificielle et des mondes virtuels, où la frontière entre vrai et faux s’estompe, son œuvre nous invite à garder les yeux ouverts et l’esprit en éveil.